CHAPITRE XXXV
Mort d’un tyran

Cet été-là, pour la première fois depuis la guerre, Staline ne part pas en vacances à Sotchi. Il ne réunit pourtant le Bureau politique que quatre fois au cours de l’année. Il prépare la grande purge qui vient, et reçoit de temps à autre au Kremlin.

L’année 1952 est celle des échecs symboliques : l’URSS ne produit que six films de fiction, alors que Staline supervise personnellement la production cinématographique et a signé lui-même le décret, pris en 1948 par le Conseil des ministres, sur le plan de production des films artistiques et documentaires. Ce plan prévoyait la réduction de la quantité de films produits pour en améliorer la qualité. Mais quantité et qualité se sont également effondrées…

Staline attache beaucoup d’importance à la réforme des statuts du Parti, qui doit être soumise au prochain congrès. Selon Khrouchtchev, chargé de présenter le rapport sur cette question, Staline en a dicté « de nombreuses dispositions » tendant, dit-il, à « développer la démocratie dans le Parti », et qui illustrent, selon lui, les « moments de lucidité où il créait des choses tout à fait sérieuses[1475] ». Les passages rédigés par Staline se devinent aisément, car personne d’autre n’aurait eu l’audace d’écrire des articles aussi subversifs et fantastiques au regard du monolithisme habituel. L’article 21 évoque la « soumission de la minorité à la majorité », alors que depuis le XVIe congrès de 1930 toutes les décisions sont votées à l’unanimité et que toute minorité a depuis longtemps disparu. L’article 26 évoque « le droit illimité de refuser ou de critiquer les candidats ». Le sommet de l’irréel est atteint par l’article 29, où Staline dresse le tableau d’« une large discussion sur les problèmes de la politique du Parti [qui] doit être organisée de telle façon qu’elle ne puisse provoquer des tentatives d’une minorité insignifiante [ !] d’imposer sa volonté à la majorité du Parti ». Il évoque ensuite les trois « conditions d’une large discussion », au cas, dit-il, où « à l’intérieur du Comité central du PCUS il n’y aurait pas de majorité nettement affirmée sur les questions essentielles de la politique du Parti et au cas, où, malgré l’existence d’une majorité nettement affirmée au Comité central, celui-ci estimerait toutefois nécessaire de vérifier la justesse de sa politique par une discussion dans le Parti[1476] ». Mais un Comité central stalinien sans majorité affirmée, c’est une pure vue de l’esprit…

Pourquoi Staline évoque-t-il ainsi une perspective aussi invraisemblable ? Nul ne peut, en 1952, prendre au sérieux cette représentation d’un parti communiste soviétique divisé entre une majorité et une minorité réglant leurs divergences par la discussion. Les plus anciens se rappellent les années 1920, lorsque les partisans de l’ouverture d’un débat avaient été qualifiés de diviseurs, de fractionnistes, de mencheviks, de petits-bourgeois, finalement d’ennemis de l’URSS ; quant aux plus jeunes, ils n’ont appris qu’à commander et à obéir. Pourtant, Chepilov, dont c’est le premier congrès, s’interroge, dans ses souvenirs, rédigés quarante ans après l’événement : affirmant que la démocratie était une exigence du moment et la condition d’un développement ultérieur de l’URSS, il se demande sérieusement si Staline en était venu à cette conclusion par analyse ou « s’il avait senti avec son instinct de vieux révolutionnaire qu’il était impossible de continuer à vivre à l’ancienne manière. En tout cas, dans son chant du cygne, il revient aux motifs de la démocratie, de la liberté de la personne, de la souveraineté nationale et de l’indépendance ». Emporté par son élan, Chepilov décèle les premiers signes de ce souci dans certaines mesures prises après le congrès, malheureusement contrebalancées « par des actes d’un caractère directement opposé qui renforçaient la dictature personnelle et l’arbitraire[1477] ». Il voit contradiction là où en réalité il y a jeu.

Sous les flonflons de la démocratie, Staline prépare en effet une machination. Il pense sans doute un moment regrouper ses futures victimes dans une prétendue minorité insignifiante, leur prêter un dessein politique et les clouer au pilori. Aucun autre orateur d’ailleurs n’évoque jamais l’hypothèse d’un désaccord éventuel à discuter et à régler. Tous, au contraire, réaffirment l’unité, la cohésion idéologique et d’organisation du Parti. C’est donc bien Staline qui veut affirmer et sanctionner un désaccord, sous-jacent peut-être, mais qu’aucun de ses pairs n’oserait exprimer en public.

Quelques jours avant l’ouverture du congrès, Staline publie une brochure intitulée Problèmes économiques du socialisme en URSS, reprenant une série d’articles et de notes écrits entre le 1er février et le 28 septembre 1952. Selon Molotov, il a organisé une discussion autour de l’ouvrage à sa datcha avec « les six ou sept principaux membres du Bureau politique », dont lui. Il leur a lu l’opuscule et demandé s’ils avaient des questions à poser, des observations à faire et ce qu’ils en pensaient. Chacun a bafouillé vaguement son admiration. « J’ai fait quelques observations comme ça, des bricoles[1478] », dit Molotov, qui ne s’est pas alors rendu compte de l’importance de cet ouvrage, dans lequel Staline affirme que le « marché mondial s’est scindé » en deux. Il existe, selon lui, deux marchés mondiaux parallèles, le marché capitaliste et le marché socialiste, qui se développent indépendamment l’un de l’autre : le premier est en crise, le second en expansion permanente. Staline conforte les radieuses perspectives du « marché socialiste » par le « constat » de la diminution constante de la production sur le marché capitaliste.

Ces textes révèlent des incohérences frappantes. Le 1er février, Staline nie, par exemple, que le maintien de la production marchande (c’est-à-dire l’écoulement des marchandises sur le marché par le biais de la monnaie) puisse mener au rétablissement du capitalisme et affirme que la production des kolkhozes a encore un long avenir devant elle. Quatre mois plus tard, il affirme strictement le contraire. Le 22 mai, en effet, il reproche à l’économiste larochenko de ne pas comprendre que « la circulation des marchandises […] commence dès aujourd’hui à entraver le vigoureux développement de nos forces productives, en empêchant l’État de planifier entièrement l’économie nationale et notamment l’agriculture » et que, plus cela ira, pis ce sera. Il juge donc nécessaire d’étatiser les kolkhozes « et de substituer aussi par étapes successives l’échange des produits à la circulation des marchandises[1479] ». Bref, il veut remplacer l’échange des marchandises à travers la vente et l’achat par un système de troc.

Il revient sur cette idée dans un texte du 28 septembre, où il rappelle que, selon Engels, « la circulation de marchandises doit amener inévitablement […] à la renaissance du capitalisme ». Il faut donc que la production des kolkhozes, en plus de leurs livraisons obligatoires vendues à l’État, « soit éliminée de la circulation des marchandises et intégrée au système d’échange de produits entre l’industrie d’État et les kolkhozes ». Staline propose ni plus ni moins d’en revenir au « communisme de guerre », qui ne serait plus, cette fois, le produit de la guerre civile, mais qui la provoquerait : la collecte et l’échange centralisés des produits, permettant une planification plus harmonieuse de la pénurie, spolieraient davantage encore la paysannerie et auraient pour conséquence un renforcement du caractère policier de l’État et un élargissement du Goulag.

En cet été 1952, seules les grandes capitales sont approvisionnées en viande, en pommes de terre et en légumes, qui disparaissent à intervalles réguliers partout ailleurs. Staline en discute avec Mikoian qui, en juin 1953, évoquera « un déficit aigu » de ces produits[1480]. Il en donnera alors une explication simple : étant donné le prix que l’État paye aux kolkhozes le kilo de pommes de terre et de viande de bœuf (le litre d’essence qui, en 1930, représentait pour le paysan l’équivalent d’une livre de viande, représente en 1952 l’équivalent de quatre kilos… soit huit fois plus !), vendre des pommes de terre ou de la viande à l’État, c’est les brader, et le paysan préfère ne rien vendre, laisser les pommes de terre pourrir dans les champs et les bœufs du kolkhoze mourir. Mais, en 1952, Mikoian n’ose pas expliquer à Staline que la baisse permanente du prix de la viande au détail destinée à la propagande (en 1952, le prix du kilo de viande représente 42 % de son prix de 1947) conduit l’État à la payer chaque année moins cher au paysan, qui, en réponse à ce pillage en règle, pratique la grève des bras croisés. Mikoian pense qu’il faudrait augmenter le prix d’achat de la viande et du lait aux kolkhozes pour résoudre le problème, mais il n’ose pas le dire à Staline.

Ce dernier envisage une autre solution, radicale celle-ci : élever à 40 milliards par an (Khrouchtchev dit 42 milliards) le montant des impôts sur les kolkhozes et les kolkhoziens, dont les revenus annuels s’élèvent alors à… 42 milliards de roubles. En juillet 1956, Khrouchtchev exposera aux dirigeants du Parti communiste italien éberlués les déclarations de Staline : « Le paysan vit bien, il peut payer ses impôts en vendant une simple poule[1481]. » Staline croyait peut-être à cette fable : il n’avait pas vu depuis très longtemps la campagne soviétique réelle, qu’il ne se représentait qu’à travers des films comme Les Cosaques du Kouban, où les cosaques s’empiffraient, attablés devant des montagnes de gibier, de volailles et de légumes dont il ignorait sans doute qu’ils étaient en carton-pâte.

À la sortie du Bureau politique où l’on a débattu la question, Beria, paniqué, affirme à Mikoian que l’adoption de la proposition de Staline débouchera sur l’insurrection des paysans. Staline met pourtant en place une commission, dirigée par Beria et Malenkov, chargée de travailler sur sa proposition. La crainte étant le début de la sagesse, la commission regimbe bientôt devant la perspective d’un nouveau conflit avec la paysannerie et critique la proposition de Staline, qui hurle alors : « Vous êtes tous des socialistes-révolutionnaires, des populistes[1482] ! »

Ce retour au communisme de guerre se colore de teintes sanglantes lorsque Staline affirme que l’économiste Iarochenko, qui discute ses idées, « rejoint en tous points Boukharine », le grand fusillé des procès de Moscou ; « il fait mine de ne pas être tout à fait d’accord avec Boukharine, mais ce n’est là qu’une ruse et une ruse à bon marché. En réalité il marche sur les traces de Boukharine[1483] ». Iarochenko saisit bientôt la portée de cette formule menaçante : sa femme et son frère, père de trois enfants en bas âge, sont licenciés, son fils, traité à l’université comme un paria, doit abandonner ses études. Une lettre de Staline contre lui l’a mis hors la loi, écrit-il dans un courrier à Malenkov en avril 1952, dans lequel il reconnaît, un peu tard, qu’il a commis « une erreur grossière » en contestant une opinion de Staline. « Pour chaque membre du Parti, l’avis du camarade Staline est et doit être la loi absolue[1484]. » Cette prise de conscience tardive ne sauvera pas Iarochenko : convoqué le 12 janvier 1953 au matin au Comité central, il n’en sortira que pour rejoindre la Loubianka, d’où la mort de Staline le libérera. Ses mésaventures en disent long sur la sincérité des réformes statutaires « démocratiques » proposées par Staline.

L’inquiétude de certains cadres devant la crise qui mûrit parvient à s’exprimer parfois lors de la préparation, pourtant hâtive, du congrès du Parti. Le 11 septembre, à l’assemblée des militants d’une faculté de droit de Moscou, un chargé de cours, membre du Parti depuis 1919, dénonce ainsi les multiples déformations de la ligne générale par des cadres et des institutions entières, perturbations qui engendrent « effervescence, murmures et un sourd mécontentement des larges masses qui ne s’est pas encore transformé en soulèvement, mais se trouve juste au bord… ». Et l’orateur de s’en prendre au « bureaucratisme[1485] ». Son intervention émeut le comité du Parti de l’université qui condamne l’hérétique, puis organise en hâte une réunion de tous les secrétaires de cellules.

Staline tente d’établir des liens entre les divers groupes victimes de sa colère dans des scénarios abracadabrants aux ramifications complexes, qu’il ne parviendra pas à dénouer : il fait ainsi avouer aux médecins arrêtés qu’ils avaient constitué un groupe terroriste, dirigé par Iegorov, agissant sur instructions de l’ancien dirigeant de Leningrad Alexandre Kouznetsov, exécuté en septembre 1950, et accusé désormais d’avoir voulu écarter Jdanov, son patron et protecteur, et d’avoir favorisé les juifs[1486] ! Abakoumov et ses adjoints qui avaient, on s’en souvient, roué de coups les dirigeants de Leningrad pour leur faire avouer les délits inventés par Staline, sont désormais accusés d’avoir dissimulé les liens des fusillés avec l’Intelligence Service. Staline avait suggéré à Abakoumov de faire des dirigeants de Leningrad des espions anglais. Abakoumov, craignant de n’y pas parvenir, avait déclaré peu vraisemblable cette accusation d’espionnage contre des dirigeants dont aucun, sauf un, n’avait rencontré d’étrangers. Staline, qui ne lui demandait pas du vraisemblable, voit dans cette déclaration d’impuissance une manifestation de complicité. Ignatiev informe enfin Staline que les services de renseignements anglais ont reçu, sur les débats du Bureau politique, à la fin des années 1930 et au début des années 1940, des informations qui ne pouvaient émaner que du secrétariat de l’un de ses membres. Cette accusation en blanc peut donc viser n’importe qui et constitue une épée de Damoclès au-dessus de la tête de tous. Par ailleurs, l’ancien enquêteur de la Sécurité Schwartzmann déclare qu’Abakoumov avait prémédité un attentat contre Malenkov.

Cette construction policière complexe est fragile. Pour la consolider un peu, Staline exhume la lettre que Timachouk avait adressée au général Vlassik quatre ans plus tôt. Enfin un document probant, qui démontre que les médecins traitants de Jdanov ont délibérément ignoré l’infarctus de l’idéologue en chef du régime, Jdanov, donc, et, par voie de conséquence, Chtcherbakov ont été soignés de façon criminelle !

Peu avant l’ouverture du XIXe congrès, à la fin de septembre, Rioumine a remis à Staline un dossier contre neuf médecins, accusés d’avoir assassiné Chtcherbakov et Jdanov. L’antisémite Rioumine a compris la nécessité de camoufler qu’il s’agit d’une attaque antisémite, aussi plusieurs de ces médecins ne sont-ils pas juifs. Staline attend que le congrès soit fini pour déclencher la première vague d’arrestations massives de blouses blanches. Est-ce parce qu’il consacre l’essentiel de ses forces à ce complot et à des règlements de comptes politiques qu’il se détourne du travail du Secrétariat au point de ne plus même en viser les décisions, qui portent dès lors la griffe de Malenkov ?

Staline demande à la Sécurité de préparer un plan d’assassinat du « renégat » Tito. Ignatiev lui remet, en janvier 1953, un projet digne de James Bond : le vieil agent Grigoulevitch, alias Max (mêlé en 1940 à l’assassinat de Trotsky), titulaire d’un passeport du Costa Rica, a noué des relations cordiales dans les milieux diplomatiques yougoslaves. Il doit se glisser auprès de Tito, à Belgrade, ou à l’occasion d’une visite prévue en Angleterre. Préalablement vacciné contre la peste pulmonaire, il doit, grâce à un pulvérisateur dissimulé dans ses vêtements, arroser Tito et son entourage de bacilles de la peste pulmonaire ou lâcher des gaz lacrymogènes et l’abattre avec un revolver camouflé en objet banal. Ce plan abracadabrant, finalement abandonné, souligne l’impuissance de Staline, son irritation devant un obstacle qu’il n’arrive pas à écarter et son éloignement croissant de la réalité.

Le 5 octobre 1952 s’ouvre le XIXe congrès du Parti. Aucun des événements survenus depuis le dernier en date, tenu en mars 1939, ni la guerre, ni les tâches de reconstruction du pays, ni la proclamation du Cominform, ni la chasse internationale au titisme, ni la liquidation des cadres du parti de Leningrad, n’avaient poussé Staline à réunir un congrès. Quel motif a pu finalement le décider à organiser celui-ci ?

La réunion semble marquer un certain effacement du Guide, quasiment muet. Arguant de son état de santé, il a annoncé au Bureau politique que, pour la première fois depuis trente ans, il ne présentera pas le rapport d’activité du Comité central ; il en confie la responsabilité à Malenkov. Plusieurs signes suggèrent qu’il y prépare la liquidation de sa vieille garde : ainsi, le dévoué Mekhlis, victime d’une attaque le 4 décembre 1949, puis d’un infarctus, en congé et en traitement depuis lors, demande à Staline de participer au congrès, ce qui est un droit pour tout membre du Comité central sortant. Staline ne prend même pas la peine de lui répondre. Ce silence bouleverse Mekhlis.

Lors de l’ouverture, Staline s’installe à l’extrémité de la table réservée aux membres du présidium : une chaise vide le sépare de son voisin Kaganovitch. Malenkov monte à la tribune et, d’une voix saccadée, débite son rapport à toute allure. Staline fixe l’espace d’un air indifférent. De temps à autre, Malenkov lève un regard inquiet vers le Maître, redoutant de déceler chez lui un signe d’impatience. Mais Staline reste impassible. Malenkov pourra aller jusqu’au bout de son pensum. À la fin de la discussion du rapport d’activité, pourtant, il se refusera à répondre aux nombreux intervenants, sans s’expliquer sur cette dérobade. Peut-être craint-il d’endosser la livrée de l’héritier présumé et trop pressé…

Staline ne prend la parole que le soir de la dernière séance du congrès, le 14 octobre. Lorsque le président de séance, Vorochilov, annonce : « La parole est au camarade Staline », toute l’assistance se lève dans une énorme ovation. Staline se dirige lentement vers la tribune et fixe la salle qui vocifère d’un regard toujours aussi morne et indifférent. Il se dandine d’un pied sur l’autre, se caressant la moustache ou le menton de son index droit. Par deux fois il lève la main pour inviter la salle à interrompre son ovation mais, à chaque fois, les hurlements redoublent d’intensité. Le silence enfin revient. Staline prononce, d’une voix lente et monocorde, un discours de sept minutes entrecoupé d’applaudissements prolongés qui en triplent la durée.

Son intervention, muette sur les problèmes intérieurs de l’URSS, se résume à deux idées : d’une part, celle-ci profondément éprise de paix, a besoin du soutien de tous les peuples pacifiques qui, ce faisant, se soutiennent eux-mêmes ; d’autre part, la bourgeoisie, en capitulant devant l’impérialisme américain, a abandonné le drapeau des libertés démocratiques bourgeoises et celui de l’indépendance et de la souveraineté nationales. Les partis communistes doivent relever ces deux drapeaux « pour devenir la force dirigeante de la nation », c’est-à-dire la force motrice d’un regroupement antiaméricain au service de la politique extérieure de Moscou. Le congrès supprime le mot bolchevik de l’appellation du parti au motif que les mencheviks n’existent plus, décide de réviser son programme et désigne à cet effet une commission de onze membres, dont font partie Staline, Beria, Kaganovitch, Malenkov et un inconnu, Dmitri Tchesnokov, obscur rédacteur en chef de la revue Voprossy Filosofii, qui restera muet tout au long des débats. Le congrès supprime le Bureau d’organisation et confie le contrôle des cadres à un Secrétariat de dix membres, parmi lesquels on compte Brejnev, Malenkov, Mikhailov, Staline, Souslov et Khrouchtchev. Enfin, la fonction de Secrétaire général – titre auquel Staline ne faisait plus référence depuis 1934 lorsqu’il signait des documents – est abolie.

L’atmosphère qui entoure le Comité central les 16 et 17 octobre 1952 est bien différente. Staline, qui a interdit de sténographier son discours, ouvre la séance par un rapport d’une heure et demie, qu’il prononce debout, sans notes, en fixant de ses yeux plissés l’assistance pétrifiée par le ton de son discours et sa manière de parler. Molotov, Mikoian, Malenkov et Beria sont installés derrière lui. Il commence benoîtement par une proposition de retraite anticipée : il se fait vieux, il faut prendre le relais et assurer la relève. Puis il insiste : « La lutte avec le capitalisme va devenir plus féroce encore. Devant l’aggravation certaine de la situation, le danger le plus grave est la tendance à trembler, à prendre peur, à reculer, à capituler. » Soudain, il met des noms sur cette « tendance » : celui de Molotov, « l’incarnation même de la capitulation devant l’impérialisme », accusé « d’instabilité, de mollesse », de « lâcheté et de capitulation[1487] », et celui de Mikoian.

L’écrivain Constantin Simonov, nouvel élu, stupéfait, pense d’abord avoir mal entendu ou mal compris ; mais Staline dresse ensuite la liste des « capitulations » de Molotov depuis la fin de la guerre. Il l’accuse tout simplement de « déviation de droite ». La preuve : en 1946, Molotov avait proposé d’augmenter de 10 kopecks le kilo à 15 kopecks le prix payé aux kolkhozes pour le blé collecté. Placer Molotov dans le sillage du traître Boukharine annonce et justifie sa future liquidation.

Vient alors le tour de Mikoian, accablé par quelques formules méprisantes. Dans la salle règne un silence de mort. Les quatre dignitaires du Bureau politique, dans le dos de Staline, sont aussi pétrifiés que le reste de l’assistance. Le choix de ces deux hommes est logique : Molotov est l’époux, même divorcé, de Paulina Jemtchoujina, convaincue de nationalisme juif ; Mikoian est le beau-père de la fille du principal condamné à mort de l’af faire de Leningrad, Alexis Kouznetsov. Molotov et Mikoian, d’une voix blanche, nient à la tribune avoir capitulé devant l’impérialisme. Ils ont le visage blême de morts en sursis.

Staline frappe un dernier coup. Avant l’élection des organismes du Comité central (en particulier de son présidium, substitué à l’ancien Bureau politique), il se lève et répète : « Je suis trop âgé, je peux continuer à assurer mes responsabilités de président du Conseil des commissaires du peuple, à diriger les séances du Bureau politique, mais je ne peux plus être Secrétaire général et diriger à ce titre les réunions du Secrétariat du Comité central. Libérez-moi donc de cette fonction. » Le piège est grossier, mais les nouveaux élus risquent de n’y pas voir malice et de prendre à la lettre la demande de Staline. Assis derrière lui, Malenkov a le visage torturé d’un homme qui, dit Simonov, « sent le danger mortel qui pèse sur la tête de tous et que les autres n’ont pas perçu ». Par ses mimiques et ses gestes, il tente de convaincre l’assistance qu’il faut refuser de satisfaire à la demande de Staline. Un geste d’acquiescement, un sourire satisfait, un hochement de la tête révéleraient un complot monté par le « dauphin » potentiel, démasqué par la ruse du Secrétaire général. L’instinct de conservation donne des ailes à l’intelligence. Et les cris fusent : « Non ! Non ! Restez ! Restez ! »[1488] Staline cède…

Il fait élire un présidium du Comité central de vingt-cinq membres et onze suppléants, où ne figure plus Andreiev, hier encore membre du Bureau politique, et composé en majorité de nouvelles têtes qu’il ne pouvait connaître pour la plupart. Il aperçoit ainsi pour la première fois Brejnev, pourtant désigné au Secrétariat. Mais un homme aussi méfiant et circonspect que Staline ne peut avoir promu des hommes à des fonctions dirigeantes sur la simple lecture d’un dossier ou sur une impression du moment. Il a donc nécessairement dressé cette liste en compagnie d’un homme de confiance, bon connaisseur de l’appareil. Mais qui ? Beria est menacé, Molotov et Mikoian sont en disgrâce. Khrouchtchev pense d’abord à Malenkov, qui lui jure avoir découvert la liste en même temps que lui. Jaurès Medvedev y voit la main de Souslov, l’homme des coulisses, l’apparatchik typique, couleur muraille, surnommé plus tard le Cardinal gris, l’homme qui, en 1957, sauvera Khrouchtchev, alors menacé par le « groupe anti-Parti », puis sonnera l’hallali contre lui en octobre 1964 avant d’être, dans le dos de Brejnev, le véritable Secrétaire général. C’est possible, probable même.

Staline crée enfin un bureau restreint, non prévu par les statuts que le congrès vient de voter, et dont il n’a discuté avec aucun dirigeant. Il est constitué de Staline, Malenkov, Beria, Khrouchtchev, Vorochilov, Kaganovitch, Boulganine et deux nouveaux : Sabourov et Pervoukhine. Cet étrange bureau, dont l’existence n’est pas rendue publique, et qui ne se réunira guère, comporte un fantôme (Vorochilov), un homme sans poids politique (Boulganine) et un futur épuré (Beria). Leur présence est un camouflage. Staline répartit les rôles entre les dirigeants pour éviter toute concentration de pouvoir entre les mains de l’un d’entre eux : en son absence, les séances du présidium, du Conseil des ministres et du Secrétariat du Comité central (auquel il n’assiste plus jamais) seront présidées à tour de rôle par trois hommes différents pour chaque organe.

Staline informe enfin le Comité central du « complot des Blouses blanches », qui ne sera rendu public que trois mois plus tard. La culpabilité des médecins ne fait, dit-il, aucun doute. Abasourdi, Chepilov, nouvel élu lui aussi, résumera son discours en quelques phrases : « Les médecins ont tué Jdanov. Ils ont tué Chtcherbakov. Ils ont voulu mettre nos maréchaux sur la touche. Regardez Andreiev qui est assis là ; eh bien, ce malheureux, ils l’ont délibérément rendu sourd. Ils ont eux-mêmes tout avoué. […]. Mais chez nous, il y a encore des gens qui doutent[1489]. » Chez nous, cela veut dire dans la direction, qu’il faut donc mettre au pas. Il mentionne l’aide apportée par Lidia Timachouk dans le démasquage des médecins, sans citer, et pour cause, ses lettres. L’assistance écoute dans un silence pesant. L’affirmation que Jdanov a été assassiné par ses médecins fait en effet planer une menace sur le clan de ses ennemis, Malenkov et Beria.

Au lendemain du Comité central, Staline exige que Molotov remette à son secrétariat personnel les originaux du pacte Molotov-Ribbentrop, y compris les protocoles secrets. Selon le policier Soudoplatov, il envisageait d’accuser Molotov de sympathies pro-germaniques et de servilité devant Hitler. Réunissant le présidium aussitôt après ce Comité central, il ne lui soumet pourtant que des questions routinières d’organisation : « Sur la création de commissions permanentes du Bureau politique » et « Sur la répartition des responsabilités dans le Bureau du présidium ».

Trois jours plus tard, il convoque au Kremlin le présidium tout entier, les secrétaires du Comité central, et quelques responsables de sections idéologiques. Il est mécontent de l’organisation de la propagande soviétique. La Pravda est particulièrement médiocre, dit-il, et son directeur, Ilitchev, faiblard. Il demande aux présents de faire des propositions pour le remplacer. Personne ne répond. Nul ne sait, en effet, comment Staline réagirait aux propositions. Mieux vaut se taire. Staline poursuit : la gestion de l’industrie est mauvaise, celle de l’agriculture ne vaut pas mieux. Les cadres existants sont ignares. « Ils ne savent que signer des papiers et par là ruinent l’affaire[1490]. » Or, dit-il, il y a beaucoup de jeunes capables, qu’il faut pousser. Il ne va pas jusqu’à affirmer qu’il faut les installer à la place des anciens comme en 1937-1938, mais suggère que si les vieux cadres dirigeants sont mauvais, il faut les remplacer.

Il forme une commission idéologique constituée de Chepilov, secrétaire, Tchesnokov, Roumiantsev, loudine et Souslov : trois nouveaux et deux anciens. Chepilov est installé au quatrième étage de l’immeuble du Comité central, Staraia Plochad, dans le bureau de Staline, que ce dernier n’occupe plus depuis de longues années. Un mois plus tard, Souslov informe Chepilov qu’il est nommé rédacteur en chef de la Pravda. Flatté mais inquiet, Chepilov se précipite chez Staline et tente de se dérober en prétextant un travail entamé depuis plus d’un an sur le manuel d’économie, commande de Staline. Staline lui répond : Vous cumulerez.

Au lendemain du congrès, la crise affleure. Malenkov y a annoncé que « le problème alimentaire [était] définitivement résolu en URSS ». Cette déclaration publique suscite une avalanche de lettres au Comité central dénonçant le manque de pain dans la région de leurs auteurs. Une paysanne de la province de Kourgan se plaint à lui : « Comment élever mes enfants ? Comment les nourrir ? Je ne sais pas […]. On ne nous paie pas les jours de travail. […] C’est nous qui produisons le pain et nous n’en avons pas ! Il n’y a pas de pain pour les enfants. » Un autre paysan, de Tchernigov, lui écrit : « On n’a pas de pain. Cela fait deux mois qu’on n’en livre pas au bazar. » Une paysanne de Briansk se plaint du manque de pain, de beurre, de saucisson, etc. Staline convoque le Secrétariat. Il hurle : « Limogez le secrétariat du comité régional du Parti ! » Envoyé en mission dans la région, Aristov rapporte que l’Ukraine est un grenier à blé, mais que les Ukrainiens n’ont même pas de pain blanc ! Staline tranche : « Qu’on leur donne du pain blanc[1491]. » Et il fait blâmer Mikoian par le bureau du Conseil des ministres.

Le 3 novembre 1952, Rioumine remet à Staline un projet d’acte d’accusation contre Abakoumov. Il lui reproche d’avoir voulu accéder au pouvoir suprême, constitué au ministère de la Sécurité d’État un groupe de nationalistes juifs, fabriqué des dossiers compromettants sur certains dirigeants, tenté de rendre la Sécurité indépendante du Parti et saboté le contre-espionnage ! Le 11 novembre, une première vague d’arrestations massives jette une douzaine de médecins en prison. Mais Staline, mécontent des pitoyables aveux arrachés par Rioumine, le démet de son poste de vice-ministre de la Sécurité, le 14 novembre. Rioumine tente de se justifier en s’excusant de son excès de libéralisme au cours de l’instruction, et jure que, depuis lors, « après les indications adéquates, [il a] corrigé [sa] faute ».

C’est alors qu’à Prague, le 22 novembre 1952, s’ouvre le procès de quatorze dirigeants du Parti communiste tchécoslovaque, parmi lesquels son Secrétaire général, Rudolf Slansky. Onze accusés sur quatorze sont juifs, qualité fortement soulignée dans l’acte d’accusation. L’enquêteur Smola hurle à Artur London : « Tout ce qu’Hitler a fait n’était pas bon, mais il a détruit les juifs et cela est une bonne chose. Ce qu’il n’a pas terminé, nous le finissons[1492]. » Plusieurs accusés ont été liés aux Brigades internationales. Radio Prague présente Slansky comme un « juif de langue tchèque, haut de taille et rouquin, de son vrai nom Salzmann », et André Simone comme un « trotskyste juif, de son vrai nom Otto Katz ». Slansky est accusé d’avoir voulu tuer le président de l’État tchécoslovaque, Gottwald, en soudoyant son médecin, le docteur Haskovec, qui, à défaut d’être juif, est franc-maçon… Le journal du Cominform, qui sort le 25 novembre, en plein procès, dénonce « les traîtres […] trotskystes-titistes, sionistes, nationalistes bourgeois au service des impérialistes américains ». Onze accusés seront condamnés à mort, et trois (dont Artur London, beau-frère de Raymond Guyot, membre du Bureau politique du PCF), à la réclusion perpétuelle.

Les juifs doivent jouer, en 1952, le rôle dévolu en 1937 aux trotskystes, mais l’entreprise est plus délicate : Staline avait, par la calomnie, l’intimidation et l’assassinat, isolé les trotskystes et Trotsky. La chasse aux juifs, opération difficile après la solution finale nazie, s’avère trop complexe pour le grossier Rioumine. Staline le remplace donc, le 15, par un homme de main de Beria, qui sera fusillé plus tard avec lui en décembre 1953, Goglidzé, ancien chef du NKVD de Géorgie, chargé de boucler le dossier des « médecins assassins ». Sur les instructions de Staline, il exige que ses subordonnés se comportent en « véritables enquêteurs révolutionnaires », en langage clair, qu’ils frappent à tour de bras. Il apporte chaque jour les procès-verbaux des interrogatoires à Staline, qui oriente lui-même le cours de l’instruction.

Ainsi, le 18 novembre, il garantit la vie sauve à son ancien médecin soignant Vinogradov, s’il « reconnaît franchement tous ses crimes et s’il démasque complètement tous ses complices ». La note qu’il lui fait remettre avec ce message se conclut sur des lignes étonnantes : « Le monde entier sait que notre chef a toujours tenu ses promesses. » Vinogradov sait justement qu’il n’en est rien. Expert du troisième procès de Moscou (1938), au cours duquel trois médecins avaient été condamnés, il y a appris que, pour faire craquer un accusé rétif, Staline promettait souvent la vie sauve à l’accusé, sa femme et ses enfants, puis les liquidait tous. Aussi refuse-t-il : « Je n’ai rien à dire. Je n’ai pas servi les étrangers, personne ne m’a manipulé et je n’ai entraîné moi-même personne à commettre des crimes[1493]. » Pour le faire céder, il faut le confronter avec le docteur Maiorov, qui, brisé, le charge, puis le rouer de coups trois jours durant.

Staline fait le vide autour de lui. Le 15 novembre, il limoge son secrétaire personnel, Poskrebychev, dont il vient de faire fusiller la femme, juive, lointaine parente de Trotsky, arrêtée trois ans plus tôt, sous l’accusation d’espionnage ; Poskrebychev ayant manqué de vigilance, voire dissimulé les activités de son épouse, est menacé. Staline fait aussi arrêter le chef de ses gardes du corps, le général Vlassik, le 16 décembre. Beria et ses adjoints, qui l’interrogent, l’accusent d’avoir « favorisé les médecins empoisonneurs », dilapidé les deniers publics pour ses appétits personnels et fréquenté un certain Stenberg, espion douteux mais juif réel ; ils exigent de lui des aveux compromettants sur Poskrebychev. Goglidzé fait avouer aux médecins Vovsi et Kogan le projet d’assassiner Staline, Malenkov et Beria en juillet 1952.

Le 1er décembre 1952, Staline reçoit dans sa datcha son quatuor habituel (Beria, Khrouchtchev, Malenkov et Boulganine) avec Malychev, qui note la reprise du thème de 1937 : « Plus nous obtenons de succès et plus nos ennemis essaient de saboter. Nos gens l’ont oublié, sous l’influence de nos grands succès, et chez nous, maintenant, c’est le règne de la placidité, de l’insouciance, de l’infatuation. » Il passe ensuite au complot des médecins : « Parmi eux, il y a beaucoup de nationalistes juifs. Et tout nationaliste juif est un agent des services de renseignements américains ». Puis il exprime sa méfiance à l’endroit de la Sécurité, et met ainsi en cause l’appareil répressif, le cœur même de l’État : « Ça va mal au Guépéou, leur vigilance s’est émoussée […]. Il faut soigner le Guépéou […] le Guépéou n’est pas épargné par la maladie qui gagne toutes les organisations : l’euphorie, le vertige du succès […] il faut instaurer le contrôle du Comité central sur le travail du MGB. L’indolence, la démoralisation ont profondément affecté le MGB[1494]. » Il faut donc secouer ses agents, et d’autres avec eux, puisque la maladie est universelle. Cette « euphorie », ce « vertige du succès », qu’il dénonce, sont le revers rhétorique de l’« indolence », de la perte de « vigilance ». La génération des jeunes staliniens de 1937-1938 peut alors légitimement se demander si elle ne va pas revivre à ses dépens le scénario de ses prédécesseurs. Mais, en l’absence de candidats à la relève, sur qui Staline s’appuiera-t-il cette fois ?

Le lendemain de l’exécution des onze condamnés de Prague, le 4 décembre, Staline fait voter au Bureau du présidium une résolution « Sur la situation dans le ministère de la Sécurité d’État et sur le sabotage dans le système de soins », élaborée, dira plus tard Malenkov par euphémisme, « avec l’aide du camarade Staline », qui l’a inspirée, revue et corrigée, voire dictée ou rédigée lui-même. La résolution décide « de mettre radicalement fin au caractère incontrôlé des organismes du ministère de la Sécurité d’État[1495] », accusé de se placer en dehors – ou au-dessus – du Parti, en le soumettant, à tous les niveaux, aux instances du Parti. L’avertissement est clair : si les médecins saboteurs ont pu prospérer grâce à l’insouciance ou à la négligence du ministère par définition en charge de la vigilance, tout est pourri au royaume du socialisme réalisé. La purge s’étendra donc à la Sécurité d’État et à tout l’appareil. Le 15 décembre, Staline tient un grand conseil sur l’affaire des médecins : il reçoit Ignatiev, son adjoint, Goglidzé, deux autres cadres de la Sécurité et sept dirigeants. Le 18 décembre, Goglidzé fait à son intention un rapport sur l’état de l’affaire des médecins.

Finit-il par croire aux complots qu’il invente à jet continu ? Il invite alors à sa datcha le président de l’Union des écrivains, Fadeiev. Au milieu de la conversation, il le fixe soudain et lui déclare : « Vous, les écrivains, vous êtes de braves gens, mais vous aidez mal le Comité central. Toi, près de toi, sous ton nez, travaillent des espions anglais, Ehrenbourg, Alexis Tolstoï et ton ami Pavlenko, et vous ne les démasquez pas[1496]. » Si Zelinski qui raconte la scène ne s’est pas trompé de date, ces propos soulignent l’affaiblissement considérable du Guide : Alexis Tolstoï était en effet mort en 1945, et Pavlenko en 1951.

Le 21 décembre, Svetlana vient le voir pour son anniversaire. Son visage, d’ordinaire blême, est devenu rougeâtre. L’hypertension le ronge. Il lui annonce fièrement qu’il a cessé de fumer, ce dont témoignent son embonpoint et son irritabilité permanente. Il est, en effet, continuellement en colère contre ses lieutenants. Khrouchtchev l’illustre par une scène typique, dans un passage finalement supprimé de son rapport au XXe congrès : « Un jour, peu avant sa mort, Staline convoqua plusieurs d’entre nous à sa datcha. […] Par hasard, entre moi et Staline s’élevait un tas de dossiers qui me cachait à lui. Staline, énervé, se mit soudain à crier : "Qu’est-ce que vous avez à rester assis comme ça, vous avez peur que je vous fasse fusiller ? N’ayez pas peur, je ne vous ferai pas fusiller. Asseyez-vous plus près."[1497] »

Son premier entretien de l’année nouvelle porte encore sur l’affaire des médecins. Goglidzé lui fait un nouveau rapport sur le sujet le 2 janvier. L’entretien dure quarante minutes. Quelques jours après, il fait arrêter le général de la Sécurité d’État Kouzmitchev, ancien officier de sa garde personnelle de 1932 à 1950, un proche de Beria, ainsi visé à travers lui et qui, au lendemain de la mort de Staline, le sortira en toute hâte de sa cellule pour le nommer au poste-clé de chef de la Direction de la garde du ministère de l’Intérieur. Le 9 janvier 1953, Staline convoque une réunion du Bureau du présidium (huit membres en plus de lui-même) élargi aux six secrétaires du Comité central, au président de la commission de Contrôle du Parti, Chkiriatov, au rédacteur en chef de la Pravda, Chepilov, et aux deux ministres adjoints de la Sécurité, Ogoltsov et Goglidzé. Leur supérieur, Ignatiev, que Staline juge trop mou dans l’affaire, est écarté de cette réunion d’état-major de la campagne imminente. Mais Staline, finalement, n’y assiste pas et se fait porter absent sur le procès-verbal. La réunion adopte une résolution intitulée « Approuver le communiqué de presse sur l’arrestation d’un groupe de médecins saboteurs et le faire paraître en même temps que l’article de la Pravda sur cette question ». Le texte est signé « Le Bureau du présidium du Comité central du PCUS » et non, comme à l’ordinaire : « Le secrétaire du CC : J. Staline[1498] ». Sous l’apparence fallacieuse de la direction collective chère à la propagande officielle, faut-il voir là le désir de ne pas laisser de traces, ou le premier indice d’une incertitude sur l’effet de cette campagne ?

Le 13 janvier 1953, la Pravda publie un communiqué de presse, dont la place discrète en page quatre escamote la gravité. Le communiqué annonce l’« arrestation d’un groupe de médecins saboteurs […] qui cherchaient, en leur administrant des traitements nocifs, à abréger la vie des hauts responsables de l’Union soviétique ». Ils sont accusés d’avoir jadis assassiné Chtcherbakov et Jdanov, et de préparer l’assassinat de chefs militaires soviétiques, dont cinq sont nommés (Vassilevski, Govorov, Koniev, Chtemenko et Levtchenko), plus quelques autres. Le communiqué cite neuf noms de médecins sur lesquels six sont juifs (Vovsi, les deux frères Kogan, Feldman, Etinguer, Grinstein) et trois russes (Vinogradov, Iegorov, Maiorov). Il dénonce en outre deux autres juifs : Mikhoels, assassiné cinq ans plus tôt jour pour jour, et le docteur Chimieliovitch, dirigeant du Comité antifasciste juif, fusillé le 12 août 1952. Le nom de Staline ne figure pas dans le communiqué. Il ne veut plus être une cible, même imaginaire.

Le communiqué distingue, parmi ces neuf médecins assassins, un groupe de cinq (Vovsi, Kogan aîné, Feldman, Grinstein, Etinguer) « liés à l’organisation nationaliste juive bourgeoise internationale Joint Committee, créée par les services d’espionnage américains », et un groupe de trois (Vinogradov, Kogan cadet, Iegorov), agents des services de renseignements britanniques et sionistes. L’auteur, las ou pressé, a donc oublié un médecin, Maiorov, dont on ne sait à quel service il s’était vendu. Le communiqué se conclut par une phrase menaçante mais vague : « L’enquête devrait se conclure prochainement » et le procès s’ouvrir bientôt.

Le soir du 13 janvier, Staline reçoit pendant cinq minutes en tout et pour tout le quatuor Beria, Boulganine, Malenkov et Khrouchtchev. Ce dernier n’a rien dit de cette brève réunion d’état-major où Staline n’a guère pu que leur donner des indications générales. Plus étrange encore, une fois l’affaire lancée, Staline ne reçoit plus aucun des responsables des interrogatoires chargés de préparer le procès annoncé pour bientôt. Or, l’affaire n’est pas bouclée, de nouvelles arrestations entraînent de nouveaux interrogatoires, mais le Chef ne donne plus de directives. Une lassitude insurmontable, liée sans doute à un sentiment d’impuissance, semble alors s’emparer de lui. Il continue à laisser s’entasser sans les ouvrir, sur la table de sa salle à manger, les paquets de courrier qui lui sont destinés ou qui sont adressés au Bureau politique ou au Secrétariat, et qu’on lui apporte chaque jour du Kremlin. Beria et Khrouchtchev les remarquent un jour en passant devant la porte ouverte, et Beria ricane en direction de son voisin : « Ton courrier traîne sûrement là aussi[1499]. » Après la mort de Staline, la garde renverra ces lettres à leurs expéditeurs, sans réponse. La paralysie politique du Guide entraîne celle de l’État.

Alors que la nouvelle campagne, si délicate, bat son plein, il réunit de plus en plus rarement les hauts responsables. Le 22 janvier, il en rassemble néanmoins quatorze, dont Beria père et son fils, ingénieur, pour discuter de vagues projets militaires. Il a encore de brefs entretiens dans son bureau les 2 et 7 février. Le 16 février, il reçoit assez longuement Malenkov, Beria et Boulganine. Entre-temps, il traîne à Kountsevo sans rien faire, et dîne avec le quatuor presque chaque soir.

Le 17 février, Staline reçoit pendant une demi-heure, temps de traduction compris, l’ambassadeur de l’Inde, Krishna Menon. Pendant l’entretien, il dessine des loups sur une feuille de papier. Soudain, il lève les yeux sur l’ambassadeur et lui déclare : « Le paysan russe connaît bien les loups ; ce sont ses ennemis de toujours ; il sait comment les abattre, mais les loups connaissent aussi les ruses du paysan[1500]. » Lui aussi se prépare à déjouer les ruses des ennemis de l’intérieur. Après un long entretien d’une heure avec un médecin, qui lui fait part de son inquiétude sur son état de santé, il reçoit pendant plus d’une heure Boulganine, Beria et Malenkov. C’est la dernière fois qu’il accueille des visiteurs au Kremlin.

Le « complot » s’enrichit presque chaque jour de ramifications nouvelles. Le 19 février, la Sécurité arrête le vice-ministre des Affaires étrangères, Ivan Maïski, ancien ambassadeur d’URSS à Londres, à l’époque où Molotov était ministre des Affaires étrangères ; elle arrête aussi son vieux collaborateur de l’ambassade britannique, Simon Rostovski, plus connu comme publiciste, sous le pseudonyme d’Ernst Henry. Les enquêteurs sont pressés : ils interrogent Maïski chaque jour, du 19 au 22 février. Staline cherche à asseoir son complot encore bien mal ficelé. Maïski, désireux d’éviter les coups, avoue être un agent des services secrets britanniques recruté par Winston Churchill et Anthony Eden, à l’époque où il dépendait de Molotov. Son arrestation vise donc ce dernier et son successeur, Vychinski, qui a recours à ses talents. Le 21, Maïski accepte de dénoncer comme agent anglais l’ancienne dirigeante de l’Opposition ouvrière, Alexandra Kollontai, décédée quelques mois plus tôt, et donc inapte à figurer sur le banc des accusés.

La Sécurité redouble de zèle pour appliquer des directives proprement antisémites. Le 22 février, la circulaire secrète SS-17 parvient dans les divers services du ministère de la Sécurité ; elle ordonne d’en chasser immédiatement tous les juifs, indépendamment de leur âge et de leur rang. Ainsi, à Tchita, le capitaine Riva Rosenberg et le censeur Leopold Abzever se voient renvoyer après une audience d’une minute chez leur supérieur. La scène se répète ce jour-là un peu partout. Dans tous les services, le 23 février, tous les agents juifs ont rendu leurs dossiers, leurs laissez-passer, leur uniforme. Motif officiel : « Réduction d’effectifs ». La décision semble suggérer leur arrestation prochaine[1501].

Deux apparatchiks juifs dociles, Mints et Khavinson, à la demande de Staline, soumettent alors pour signature à un certain nombre de personnalités juives un texte proposant le transfert, après le procès des « médecins assassins », d’une partie de la population juive soviétique vers l’est pour la protéger de la fureur des Russes indignés. L’authenticité de cette pétition a été mise en doute. La revue d’archives de la présidence de Russie Istochnik a publié un texte anodin de lettre collective soumis à la signature de 58 personnalités juives. Dénonçant les manœuvres des « impérialistes américains et israéliens, qui veulent transformer les juifs de Russie en espions et en ennemis du peuple russe », la lettre affirme que l’écrasante majorité des juifs soviétiques sont des amis du peuple russe, souligne la nécessité de renforcer l’amitié entre les peuples et l’unité des travailleurs du monde entier face à l’impérialisme, et s’achève par la modeste proposition d’éditer en URSS un journal en yiddish, afin de rassembler tous les juifs progressistes du monde[1502]. Ce n’est évidemment pas à cette épître que faisait allusion le pianiste Blanter lorsqu’il déclara à l’un des médecins juifs arrêtés : « Chaque matin j’ouvrais la Pravda, les mains tremblantes, de peur d’y trouver ce document infâme avec ma signature[1503]. » Ilya Ehrenbourg parle aussi d’un autre texte quand il évoque dans ses souvenirs ses « efforts pour empêcher la publication dans la presse d’une lettre collective. Par bonheur, l’idée, véritablement folle, ne fut pas traduite dans les faits[1504] ». La proposition de publier un journal yiddish anti-impérialiste ne saurait être qualifiée ni d’« infâme » ni de « folle ». L’idée « véritablement folle », à savoir la construction de ghettos en Extrême-Orient, renvoie donc à un autre document, resté dissimulé ou soigneusement détruit. L’écrivain Benjamin Kaverine, à qui le texte fut soumis, y vit la confirmation des bruits sur les baraquements construits en Extrême-Orient pour y installer de futurs ghettos.

Selon Poliakov, adjoint de Mikhail Souslov, Staline avait créé une commission chargée de préparer cette déportation, placée sous sa direction personnelle et sous la présidence de Souslov. Les baraquements avaient déjà été construits au Birobidjan, explique-t-il, pour accueillir tous les juifs soviétiques en deux étapes. « Staline avait fixé des délais très contraignants. Le procès contre les médecins devait se dérouler du 5 au 7 mars et leur exécution s’effectuer les 11 et 12 mars[1505]. » Ce récit suscite bien des doutes. La Sécurité n’avait pas les moyens de construire des baraquements pour accueillir au Birobidjan les trois millions de juifs soviétiques, un chiffre supérieur à la population du Goulag tout entier, à moins d’en faire périr la majeure partie en cours de route. Un projet de déportation ne pouvait concerner qu’une fraction des juifs soviétiques à seule fin de terroriser l’ensemble.

Guennadi Kostyrtchenko, l’auteur de Prisonniers du pharaon rouge, nie carrément l’authenticité de ce projet, qu’il réduit à « des bruits qui ont circulé et circulent encore dans les milieux juifs » ( !) et avance trois arguments à l’appui de sa thèse : « L’existence de tels plans est niée par des personnalités très au fait des secrets de la cuisine politique stalinienne comme Soudoplatov et Kaganovitch[1506]. » Mais le premier, responsable du secteur des assassinats politiques du NKVD, est aussi peu digne de foi que le second, juif honteux, fidèle compagnon, complice et chantre de Staline jusqu’à son dernier souffle. Kostyrtchenko avance comme deuxième preuve le fait que Krouchtchev, « le critique acharné des crimes staliniens, ne le mentionne pas non plus [ce projet] dans ses Mémoires ». Mais Khrouchtchev ne dit pas tout, loin de là ! Il limite par exemple à cinq la quinzaine de peuples déportés par Staline, dont il maintiendra lui-même certains en déportation. Cela invaliderait-il la déportation de ceux dont il ne dit mot ? Kostyrtchenko avance un ultime argument : « Le plus important est qu’il n’y a pas eu de directive officielle sanctionnant la déportation[1507]. » C’est l’argument traditionnel des « négationnistes » : puisqu’il n’y a pas de document officiel sur les chambres à gaz et la solution finale, elles n’ont pas existé ; aucune directive officielle de Staline n’ordonne le meurtre de Trotsky et de bien d’autres. Il les a pourtant bien fait tuer.

Sans doute Staline ne voulait-il (et ne pouvait-il) pas déporter tous les juifs au Birobidjan, dans l’Altaï, au Kazakhstan et en Ouzbékistan. L’opération était politiquement bien plus délicate que la déportation d’Allemands soviétiques en pleine guerre avec l’Allemagne, ou de peuples du Caucase, dont le sort importait peu aux gouvernements alliés. Mais il aurait pu en déporter une partie vers l’est, après le procès prévu des « médecins assassins ». Ainsi, les habitants du quartier juif de Tiflis avaient été prévenus en février 1953 de leur prochain transfert au Kazakhstan. Staline aurait-il finalement mis sa décision à exécution ? Nul ne saurait le dire, bien sûr. Le ministre de la Défense de l’époque, Boulganine, a affirmé en 1970 avoir reçu de Staline, en février 1953, l’ordre de préparer 800 convois pour déporter les juifs en Sibérie, soit un transfert d’un million d’hommes. Or, les trois semaines suivantes, Staline, en dehors des visites qu’il reçoit le 17 février, semble s’effacer. La campagne de presse sur les médecins assassins patine faute de directives claires. Tchesnokov, enfermé, paraît-il, dans une villa du Comité central, rédige alors, sur l’ordre de Staline, une brochure pour justifier la déportation des juifs, du point de vue du marxisme-léninisme, mais nul n’en a jamais vu la couleur. Si elle a été écrite, elle n’a en tout cas jamais été imprimée.[1508]

Le samedi 28 février 1953 au soir, Beria, Malenkov, Boulganine et Khrouchtchev se rendent à la villa de Kountsevo. Les cinq hommes dînent longuement, et les invités ne repartent que vers 5 heures du matin. Staline est d’excellente humeur, il plaisante, puis part se coucher. La suite fait l’objet de plusieurs récits, peu compatibles entre eux. D’abord celui, douteux, de son ancien garde du corps, Rybine, absent au moment de l’agonie, puis ceux d’anciens membres du personnel et celui de Khrouchtchev, qui ont sans doute en commun la volonté de dissimuler certains points délicats. Un détail, notamment, intrigue : le lendemain même de la mort de Staline, Beria convoqua tout le personnel de Kountsevo (les domestiques, la garde, les employés) et leur donna l’ordre de quitter immédiatement la villa, puis la ville. En savaient-ils donc trop sur ce qui s’était passé dans les heures qui suivirent ?

Lorsque midi sonne, le dimanche 1er mars, le chef, qui se réveille d’ordinaire vers 10 ou 11 heures, n’a encore donné aucun signe de vie. Et ce jour-là, la fidèle Istomina est absente. Elle ne reviendra que le 2 au matin. Les heures s’écoulent ; l’inquiétude des gardes s’accroît. Enfin, à 18 h 30, la lumière s’allume dans le bureau et la salle à manger. Mais Staline ne se manifeste toujours pas. Or personne ne peut, sans y être invité par lui, pénétrer dans son appartement. Vers 23 heures, l’un des membres du personnel se décide à y entrer. Selon les sources, il s’agit soit de la vieille femme de ménage Matrena Boutoussova, soit du capitaine Lozgatchev, chargé d’apporter le courrier du Kremlin. Il ou elle découvre Staline allongé sur le plancher, courbé sur son bras replié, conscient, mais incapable de parler.

Première bizarrerie, soulignée par Jaurès Medvedev : l’un des quatre dirigeants au moins a certainement téléphoné ce jour-là à Staline et a donc dû chercher à deviner les raisons d’un silence bien inhabituel. Khrouchtchev affirme d’ailleurs dans ses souvenirs qu’il s’attendait que Staline les appelle comme tous les jours, « c’est pourquoi de toute la journée je ne mangeais pas, en pensant que peut-être il nous appellerait plus tôt [que d’habitude] […]. Mais toujours pas d’appel ! Je ne croyais pas qu’il pouvait sacrifier un jour de congé à notre profit, cela ne s’était presque jamais passé[1509] ». L’impatient Khrouchtchev se serait-il contenté d’attendre silencieusement chez lui sans chercher à se renseigner ? C’est peu vraisemblable. Le premier d’entre eux qui a téléphoné a forcément prévenu son comparse (Boulganine pour Khrouchtchev, Malenkov pour Beria), si ce n’est les trois autres, de l’étrange silence qui régnait à Kountsevo.

Dès la découverte du corps de Staline, à 23 heures, la garde prévient Ignatiev. Ce dernier, vieux bureaucrate qui ne maîtrise pas l’appareil policier et à qui Staline a menacé de couper la tête s’il ne faisait pas avouer les médecins, téléphone à Malenkov, qui tente de joindre Beria. En vain d’abord. Puis Beria, revenu d’on ne sait où, appelle à 00 h 30 et donne l’ordre au personnel de Kountsevo de ne parler de la maladie de Staline à personne et de ne téléphoner à personne.

La journée du 1er mars s’achève sur un triomphe inutile pour Staline : dans les huit circonscriptions où il s’était présenté pour les élections aux soviets locaux, il est élu triomphalement avec 100 % des voix, au moment même où la vie le quitte. Le 2 mars, à 3 heures du matin, les invités de la veille arrivent en voiture. Selon Khrouchtchev, ils s’adressent au poste de permanence et, apprenant que Staline a eu une attaque et uriné sous lui, décident de ne pas aller le voir dans un aussi piteux état. Cette délicatesse étonne. Selon Lozgatchev et plusieurs autres, Beria et Malenkov sont entrés dans la salle à manger, où gisait le malade. Malenkov, effrayé, retire ses chaussures trop neuves, qui crissent. Beria prend les geignements sourds de Staline pour des ronflements, il lui trouve l’air paisible et rabroue l’intendant. « Qu’est-ce que tu as à semer la panique ? Le patron dort profondément. » L’autre insistant, il lui ordonne de se taire : « Ne sème pas la panique, laisse-nous tranquilles. Ne dérange pas le camarade Staline. Fiche-lui la paix[1510] ! » Si les deux hommes sont bien entrés, s’ils ont effectivement vu Staline allongé, inconscient, dans une flaque d’urine et sont repartis sans convoquer de médecins, ils l’ont délibérément laissé mourir. Mais pourquoi Khrouchtchev le cacherait-il en affirmant qu’aucun d’eux n’a pénétré dans la villa ? Pourquoi protégerait-il Beria, qu’il fera fusiller, et Malenkov, qu’il écartera du pouvoir ?

Le 2 mars, à l’aube, Khrouchtchev vient annoncer à la villa l’arrivée prochaine de cinq médecins ; ils se présentent à 7 heures et, les mains tremblantes, examinent le patient, resté quatorze heures sans soin après une congestion cérébrale. Ils rédigent un compte rendu détaillé : « Le malade est allongé sur un divan ; il gît sur le dos, la tête tournée vers la gauche, les yeux fermés ; il souffre d’une hyperémie modérée du visage, a uriné involontairement [son vêtement est trempé d’urine] […]. Son pouls bat à 78 pulsations minute, avec de rares ralentissements. Les battements du cœur sont assourdis. Pression sanguine 190/110. » Ils notent les traces d’un choc sur l’articulation du coude droit : « Le malade est inconscient. […] Pas de mouvement des extrémités des membres droits, frémissements agités intermittents du côté gauche. » Ils diagnostiquent : « Hypertension, artériosclérose généralisée avec une détérioration des vaisseaux sanguins du cerveau, hémiplégie du côté droit, à la suite d’une hémorragie dans le secteur de l’artère cervicale moyenne du côté gauche, cardio-sclérose artériosclérotique, nephrosclérose. La situation du malade est extrêmement grave[1511]. »

Convaincus que Staline est hors jeu, les quatre compères se hâtent de prendre les premières mesures de succession. Ce 2 mars, à 10 h 40, ils se réunissent brièvement (sans Boulganine, qui est de garde près du moribond), dans le bureau de Staline au Kremlin, avec Vorochilov, Kaganovitch, Pervoukhine, Sabourov, Chvernik (président du Soviet suprême), Chkiriatov, Mikoian et Molotov. En vingt minutes, le groupe des quatre, un bref moment unis pour la succession, informent les autres de leurs décisions. Cette réunion marque la mort politique de Staline : les quatre ne réunissent en effet ni le présidium du Comité central de vingt-cinq membres constitué par Staline, ni le Bureau restreint qu’il avait fabriqué au lendemain du congrès, et ils s’associent Mikoian et Molotov, que Staline avait mis à l’écart.

Les médecins s’acharnent : ils appliquent à Staline huit sangsues derrière les oreilles, lui mettent une poche de glace sur la tête, lui retirent son dentier, lui font ingurgiter un verre de sulfate de magnésium délayé. Ils le veillent à tour de rôle. Aucune amélioration de son état de santé n’est perceptible au cours de cette journée du 2. Le soir, les dirigeants qui s’étaient réunis le matin se retrouvent dans le bureau de Staline (sauf Khrouchtchev, qui a remplacé Boulganine auprès de Staline) pendant une heure. Ils préparent la dissolution des organismes qu’il avait mis en place. Le ministre de la Sécurité d’État, Ignatiev, responsable de la garde de la villa de Staline, n’est pas plus convoqué à cette réunion qu’à celle du matin.

Le 3 mars après-midi, Malenkov invite Svetlana à se rendre à Kountsevo. Bien entendu, elle soupçonne un malheur. Khrouchtchev et Boulganine l’accueillent en larmes. Une agitation désordonnée règne dans la villa, d’ordinaire silencieuse. Les médecins autour du moribond semblent danser un ballet effrayant. Vassili, ivre selon son habitude, déambule dans les couloirs en criant : « Ils l’ont empoisonné, ils l’ont empoisonné ! » Des spécialistes, hébétés devant la scène, ont apporté un énorme appareil de respiration artificielle qui restera inutilisé. « Tout à l’entour, toute cette maison, tout mourait déjà sous mes yeux », note Svetlana Alliluieva. Selon elle, Beria « était excité à l’extrême » par la perspective d’accéder bientôt au pouvoir[1512].

Ce jour-là, deux jeunes étudiants bulgares, l’anarchiste Gueorgui Gueorguiev et le social-démocrate Dinev, écornent à la dynamite la statue de Staline au centre de Sofia. Ils sont condamnés à mort ; leur peine sera, un peu plus tard, commuée en vingt ans de bagne.

Le mercredi 4 mars, à 6 heures du matin, Radio Moscou interrompt soudain ses émissions et, à 6 h 30, donne lecture d’un communiqué du Comité central et du Conseil des ministres, annonçant la maladie de Staline. Un premier bulletin médical indique qu’il a été victime d’une attaque affectant les centres vitaux du cerveau pendant la nuit du 1er mars, qu’il a perdu conscience, n’a plus l’usage de la parole, souffre d’une paralysie du bras droit et de la jambe droite, et que son cœur fonctionne irrégulièrement. Le pays retient son souffle. Ce même matin du 4 mars, on fait venir Galina Tchesnokova, jeune médecin militaire, qui sème la confusion. Elle fait un électrocardiogramme et prétend déceler un infarctus du myocarde, que les pontes présents n’auraient pas repéré. Les médecins, saisis d’effroi à l’idée qu’on puisse les accuser d’avoir dissimulé le vrai diagnostic, se hâtent de vérifier, se réunissent et rejettent unanimement l’infarctus imaginaire.

Le jeudi 5 mars, à 4 h 35, Radio Moscou donne lecture d’un second bulletin médical signalant la détérioration de l’état de santé de Staline. L’éditorial de la Pravda du même jour ne mentionne que le nom d’un unique dirigeant soviétique, Malenkov. Un troisième bulletin médical, lu à 6 h 30, signale des défaillances dans le système cardio-vasculaire et des problèmes respiratoires aigus. Au matin, l’état de santé de Staline se dégrade brusquement. Sa respiration se fait de plus en plus irrégulière. À 8 heures, il vomit un peu de sang, puis est victime d’un collapsus, dont les médecins le font émerger à grand-peine. À 11 heures un électrocardiogramme révèle la défaillance d’une artère coronaire. À 11 h 30, de nouvelles convulsions et des vomissements sont suivis d’un nouveau collapsus et d’une suée abondante. Les médecins administrent alors du camphre, de la caféine, de la strophantine, de la pénicilline, du glucose au moribond qui hoquette ; sa peau est blême, ses lèvres et ses poignets violacés, des tremblements agitent sa tête, les hoquets reprennent. À 20 heures, le pouls bat à 150 pulsations minutes. Sa respiration n’est plus qu’un râle étouffé, le corps de Staline est inondé de sueur, les médecins à nouveau lui injectent du gluconate de calcium, de la caféine, du camphre.

Au même moment, à 20 heures précises, s’ouvre une séance commune extraordinaire du Comité central, du Conseil des ministres et du présidium du Soviet suprême. Khrouchtchev préside, Malenkov rapporte, avec Beria. En quarante minutes, la réunion avalise à l’unanimité dix-sept décisions élaborées au préalable par le Bureau du présidium, et qui réorganisent l’appareil dirigeant de l’État et du Parti. La majorité d’entre elles annulent des mesures prises les mois précédents par Staline. Malenkov est nommé président du Conseil des ministres. On lui adjoint quatre vice-présidents : Beria, Molotov, Boulganine et Kaganovitch. Le Bureau du présidium du Comité central est liquidé, le présidium de vingt-cinq membres titulaires est ramené à onze (dont Staline, plus Molotov et Mikoian, qu’il avait éliminés). Le Secrétariat du Comité central est entièrement refondu et l’on fusionne, sous la direction de Beria, les ministères de la Sécurité et de l’Intérieur. Toutes ces mesures visent à écarter les nouveaux promus de Staline, et à remettre en selle les anciens qu’il avait éloignés. C’est un mini-coup d’État. La réunion confie enfin à une commission composée de Beria, Malenkov et Khrouchtchev le soin de procéder au classement des papiers et archives de Staline. La séance s’achève à 20 h 40. Personne ne pose de question. Le vote est unanime. Quarante minutes ont suffi pour renverser l’édifice institutionnel mis en place par Staline au cours des mois précédents. Pendant ce temps, il agonise…

A 21 h 10, le visage de Staline devient violacé, il râle sourdement, une nouvelle suée l’inonde. Le ballon d’oxygène n’apporte aucune amélioration. Les médecins essaient un massage du cœur et la réanimation par le bouche-à-bouche. Sans résultat. À 21 h 40, les médecins lui injectent du camphre, de l’adrénaline, pratiquent la respiration artificielle. Sous les yeux d’un Khrouchtchev ébahi un géant pétrit littéralement le moribond de ses grosses mains. Soudain, Staline ouvre les yeux, fixe d’un regard furibond et terrifié les visages penchés sur lui, lève le bras gauche vers le plafond, s’étrangle et meurt. Il est 21 h 50.

Galina Tchesnokova essaie par deux fois de lui fermer les yeux, en vain : ils sont trop secs. Elle essaie alors une troisième fois en appuyant longtemps sur les yeux, et les paupières restent enfin closes. Jusqu’à sa mort, en décembre 1999, Galina Tchesnokova répétera à qui veut l’entendre : « Savez-vous à qui vous parlez ? Vous ne savez même pas à qui vous parlez[1513] ! » À celle qui a fermé les yeux de son dieu.

Beria bondit alors dans le couloir et hurle à son chauffeur un cri devenu fameux : « Khroustaliov, ma voiture ! » Vorochilov, Kaganovitch, Malenkov, Molotov et Khrouchtchev l’imitent et arrivent en même temps que lui dans le bureau du mort au Kremlin, à 22 h 25 exactement, bientôt suivis, dix à quinze minutes plus tard, d’une demi-douzaine de membres du Bureau politique (Souslov), du Secrétariat (Ignatiev) et de militaires (Vassilevski). La réunion, qui s’étend jusqu’à 3 h 50 du matin, met en œuvre toutes les décisions élaborées la veille. La succession s’effectue sans heurt, pour le moment.

Les neuf médecins qui se sont relayés depuis le 2 mars et ont passé toute la journée du 5 au chevet du défunt signent l’acte médical et le constat de décès. La Sécurité convoque l’embaumeur Debov, qui a, depuis janvier 1952, remplacé Boris Zbarski, l’ancien embaumeur de Lénine, et l’emmène dans l’une des voitures blindées de Staline au laboratoire spécial de la rue Sadovo-Koudrinskaia près du Mausolée. Une douzaine de médecins et de collaborateurs du laboratoire se penchent sur le mort, sous la surveillance étroite d’officiers de la Sécurité. L’autopsie révèle des cavités et des kystes, en particulier dans les lobes frontaux, signes de petites hémorragies cérébrales, et une artériosclérose du cerveau. Ces données ne figurent pas dans le communiqué officiel d’autopsie.

La commission des funérailles, présidée par Khrouchtchev, a décidé que Staline serait placé dans son sarcophage revêtu de sa tenue de généralissime. Les embaumeurs, pour conjurer la poussière, remplacent les boutons métalliques et les pattes d’épaule par des boutons et des pattes en or ; ils font refaire en platine les planchettes des décorations. Mais ils se heurtent à un problème : Staline, lors de son attaque, portait ses vieilles bottines éculées, qu’il refusait de remplacer et qui s’harmonisent mal avec l’uniforme de généralissime et la solennité du sarcophage. Ils en demandent une paire de neuves ; mais le Maréchal n’en avait pas.

Les embaumeurs achèvent leur travail le vendredi matin 6 mars, à l’heure où les émissions de Radio Moscou s’ouvrent sur des roulements de tambour suivis de l’hymne national et de la lecture du communiqué officiel annonçant la mort de Staline.

À l’annonce de sa maladie, l’espoir a soulevé les déportés de Vorkouta, qui ont prié à genoux : « Que le diable emporte son âme aujourd’hui. » Ils accueillent sa mort avec joie : « Grâce à Dieu, l’homme à la moustache est parti en enfer. » Un ancien journaliste explique à ses voisins : « En haut, ils sont heureux que le vieil homme soit mort. Ils travaillaient avec lui, mais il les terrorisait et ils le haïssaient. Chacun d’entre eux était menacé de subir le sort de Voznessenski, que Staline a liquidé parce qu’il agissait de façon trop indépendante. » Dans son exil, Tatiana Smilga, dont le père et la mère ont été fusillés sur ordre de Staline, pleure d’une joie mal dissimulée. Dans le village ukrainien de Hlybotchok, dévasté par la famine en 1932-1933, le fils de la bibliothécaire rentre de l’école en pleurant : « Le petit père Staline est mort ! » Son grand-père lève les bras au ciel et s’écrie : « Merci, Seigneur, de m’avoir permis de vivre pour voir mourir ce despote[1514] ! » Combien de survivants de la famine ont ressenti cette joie amère ? Mais un deuil réel frappe une partie de la population. L’annonce de sa mort affole un instant l’arrogante mais incertaine nomenklatura, qui projetait en lui son désir de stabilité éternelle. Evguenia Guinzbourg, déportée à Magadan, se rappelle les crises aiguës d’hypertension et les infarctus que sa disparition multiplie parmi les chefs du Goulag…

Le 6 mars, Ignatiev adresse à Beria, Malenkov, Boulganine et Khrouchtchev une note sur l’état de l’opinion, à partir de trente-deux réflexions relevées juste avant la mort du Guide, les 4 et 5 avril (et dont les deux tiers émanent de militaires). Elles disent à la fois l’inquiétude et l’admiration pour le moribond, témoignent du déchaînement de l’antisémitisme et d’un réel mécontentement. Une ouvrière se demande si les juifs n’ont pas attenté à sa santé, une autre affirme : « Ces médecins assassins sont responsables de la maladie du camarade Staline. Ce sont eux qui, visiblement, ont donné au camarade Staline des médicaments empoisonnés avec effet à retardement. » Un garde-frontière de l’aéroport de Moscou partage cet avis : « Les ignobles médecins assassins » l’ont aidé à mourir. Un employé du Kremlin ajoute : « Si cela se confirme, le peuple sera encore plus indigné contre les juifs. » Un serrurier se demande si Staline, dont « les juifs sont devenus les ennemis », n’a pas été, lui aussi, empoisonné, et dénonce à la fois les juifs et le manque de liberté : « La vie maintenant est pénible, on persécute tout le monde, il est impossible de dire la vérité sinon on te jette en prison et tu y restes. […] Si Staline ne se rétablit pas, c’est sûr que les travailleurs feront un pogrome des boutiques et des magasins juifs. ». D’autres craignent pour l’avenir, pensent qu’il faudra faire des concessions en politique extérieure, craignent la lutte pour le pouvoir provoquée par sa maladie, voire la dislocation de la Russie s’il meurt.

Les remarques hostiles sont plus rares, mais, dans ce climat de peur, elles sont particulièrement significatives. Un artilleur déclare : « Il ne l’a pas volé », un autre renchérit : « C’est une bonne chose. » Ignatiev fait arrêter les deux hommes. Un lieutenant-colonel, inspecteur d’une direction politique, se demande si cela vaut la peine de le soigner. Un soldat d’une unité antichar exprime plus nettement l’espoir d’un changement : « Staline ne tiendra pas longtemps, et cela vaut mieux. Vous verrez comme tout changera d’un coup[1515]. »

On transporte le cadavre embaumé pour l’exposer dans la salle des Colonnes, là où s’étaient déroulés les trois procès de Moscou. On installe le cercueil sur un socle ; des couronnes de fleurs dissimulent les fameuses bottines usagées. Au chevet, une faible lumière de profil laisse dans l’ombre le visage ravagé de petite vérole et de petites taches pigmentées. Khrouchtchev vient jeter un coup d’œil. La fête peut commencer. Les membres du gouvernement, du présidium, viennent faire leurs adieux au défunt, puis, à 16 heures, les portes sont ouvertes au public, massé par centaines de milliers dans les rues avoisinantes.

Le secrétaire de l’Union des écrivains, Alexis Sourkov, se renseigne, ce 6 mars, auprès du Secrétariat du Comité central, sur le comportement à adopter lors des funérailles de Staline : « Pleurez, mais pas trop[1516] », lui conseille-t-on. La publication des Œuvres complètes de Staline est immédiatement suspendue sine die. Beria licencie tout le personnel de la villa constitué d’agents de la Sécurité, dont il prend la direction, fait déménager en hâte tout le mobilier entassé dans des entrepôts de la Sécurité. Trois mois plus tard, une fois Beria renversé, les autres héritiers, qui avaient eu l’idée, vite abandonnée, d’ouvrir à Kountsevo un musée Staline, le font remettre en place.

Les funérailles de Staline se déroulent le 9 mars. La foule inquiète, massée tout autour du palais des Syndicats, où est exposée sa dépouille, déborde le service d’ordre : des centaines de Moscovites périssent broyés contre les camions, étouffés ou piétinés par leurs voisins affolés. Nicolas II avait commencé son règne par les morts de la Khodynka le jour de son couronnement, Staline achève le sien de la même façon.

Y eut-il complot contre Staline ? C’est la thèse de son ancien garde du corps, Rybine, dont les capacités d’analyse sont inversement proportionnelles à son adoration pour son ancien maître. C’est aussi celle du feuilletoniste Avtorkhanov, de l’historien russe Antonov-Ovseenko. Selon ce dernier, les arrestations massives de médecins en novembre 1952 avaient privé Staline, malade, de toute assistance médicale sérieuse. Le limogeage de Poskrebychev, l’arrestation de Vlassik et de son domestique convaincu d’espionnage, la mort inopinée, à la mi-février, du commandant du Kremlin, Konsykine, l’avaient mis dans l’isolement. Mais toutes ces mesures ont été prises avec l’accord, sinon sur ordre même, de Staline. Un an et demi plus tôt, son médecin, Vinogradov, constatant l’état des artères de ce gros fumeur et grand buveur, lui avait conseillé d’arrêter toute activité politique sous peine d’en payer les conséquences. Staline avait emprisonné l’auteur du diagnostic et cessé de fumer, mais trop tard.

À Gennevilliers, le vendredi 7 mars 1953, Jacques Duclos, dans un long sanglot, annonce à un auditoire endeuillé de militants orphelins que « le camarade Staline est mort », mais leur jure que le stalinisme est immortel. Mais l’histoire est un cimetière de dieux oubliés. En 1940, Trotsky rappelait que les innombrables statues de Néron avaient été renversées et brisées dès le lendemain de son suicide forcé et prédisait le même sort à celles du Secrétaire général. La réalité va bientôt confirmer cette prophétie.

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